Nos grandes Européennes
SALOME ZOURABITCHVILLI

SALOME ZOURABITCHVILLI

"j'ai été élue parce que je suis européenne !"

 Salomé Zourabichvili, soutenue par le parti au pouvoir Rêve géorgien, a été largement élue première femme présidente de la Géorgie selon les résultats complets communiqués jeudi, dans une élection test pour la démocratie de ce pays du Caucase.

L'ancienne diplomate française recueille 59,52% des voix contre 40,48% pour le candidat de l'opposition, Grigol Vachadzé, indiquent les résultats portant sur la totalité des bureaux de vote annoncés par la Commission électorale centrale.

La participation était de 56,23% lors de la fermeture des bureaux de vote mercredi soir dans cette ancienne république soviétique.

La bonne tenue du vote a été observée de près par les pays occidentaux de l'UE ou de l'Otan, deux organisations que la Géorgie aimerait intégrer.

Il s'agit du dernier scrutin présidentiel au suffrage direct, avant de passer à un régime parlementaire. Même si le poste de président est devenu essentiellement symbolique après ces changements constitutionnels, le vote est un test pour le parti au pouvoir.

L'élection préfigure en effet la confrontation à venir lors des législatives de 2020 entre le Rêve géorgien, fondé par le milliardaire Bidzina Ivanichvili et qui a pris les rênes du pays en 2012, et le Mouvement national uni, fondé par l'ex-président aujourd'hui en exil Mikheïl Saakachvili.

La France, par la voix de son ministère des Affaires étrangères, a adressé "ses plus sincères félicitations" à Salomé Zourabichvili.

"La nouvelle présidente pourra compter sur notre détermination à continuer à agir en faveur de la souveraineté et de l'intégrité territoriale de la Géorgie dans ses frontières internationalement reconnues", précise le communiqué.

La victoire de Mme Zourabichvili a été aussitôt contestée par M. Saakachvili, qui a dénoncé "une fraude électorale massive", dans un communiqué diffusé par la chaîne de télévision Rustavi-2 TV.

"Je demande aux Géorgiens de défendre notre liberté, la démocratie et la loi. Je vous demande d'organiser des rassemblements pacifiques pour exiger des élections législatives anticipées", a-t-il ajouté.

M. Saakachvili a dirigé la Géorgie de 2004 à 2013, après la Révolution de la rose pro-occidentale à Tbilissi en 2003. Ses deux mandats présidentiels ont cependant été ternis par ses attaques contre l'opposition et surtout par la guerre éclair désastreuse avec la Russie en 2008.

En 2013, M. Saakachvili a dû quitter son pays et a été condamné en janvier par un tribunal de Tbilissi par contumace à trois ans de prison pour "abus de pouvoir", ce qu'il conteste dénonçant une attaque politique.

Fille de réfugiés 

Signe des tensions autour du scrutin, l'opposition a accusé le gouvernement d'intimider des électeurs et affirmé que des militants du Rêve géorgien avaient agressé des membres du parti d'opposition.

Trois ONG géorgiennes, dont la branche locale de Transparency International, ont affirmé la semaine dernière avoir la preuve que le gouvernement avait imprimé de fausses cartes d'identité pour truquer le second tour en faveur de Mme Zourabichvili.

Celle-ci a affirmé de son côté qu'elle et ses enfants avaient reçu des menaces de mort.

L'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) doit donner une conférence de presse jeudi dans la journée. Les rapports des observateurs électoraux étrangers seront suivis de près par l'opposition.

De nouvelles manifestations pourraient secouer ce pays du Caucase, qui a connu une histoire mouvementée depuis son indépendance en 1991, lors de la fin de l'Union soviétique.

Agée de 66 ans, Mme Zourabichvili est la fille de réfugiés géorgiens installés à Paris en 1921. En 2003, elle arrive en Géorgie en 2003 comme ambassadrice de France.

Élu président en 2004, Saakachvili, à la recherche de cadres expérimentés pour intégrer son administration, la nomme ministre des Affaires étrangères.

Mais au bout d'un an, Salomé Zourabichvili est limogée, malgré des manifestations contre son départ qui rassemblent plusieurs milliers de personnes dans les rues de Tbilissi.

M. Vachadzé, diplomate de carrière et ministre des Affaires étrangères de Mikheïl Saakachvili de 2008 à 2012, a critiqué "le régime oligarchique" mis en place par l'ancien Premier ministre Bidzina Ivanichvili, du Rêve géorgien, alors que le gouvernement échoue à réduire la pauvreté.

Homme le plus riche du pays, Bidzina Ivanichvili, s'est officiellement retiré de la vie politique en 2013 après un an comme chef de gouvernement, mais il reste considéré comme le véritable dirigeant du pays.

 Salomé Zourabichvili :« Je veux que la Géorgie intègre l'Union européenne »
Élue présidente de la Géorgie en décembre, l'ancienne diplomate française dévoile ses ambitions pour son payset sa vision de l'Europe.

 Quand elle arpentait les couloirs du Quai d'Orsay, elle se rêvait ambassadrice de France en Géorgie. Ce pays que ses aînés quittèrent en 1921 pour fuir l'Armée rouge. Se rêvait-elle présidente  ? Certainement pas, mais c'est elle, l'ancienne Française devenue géorgienne, qui occupe désormais les bureaux du palais présidentiel de Tbilissi, la capitale. Son passé, l'Europe, le Brexit, les Gilets jaunes... Salomé Zourabichvili dévoile sa vision d'une Géorgie dans l'Europe.

Le Point : Comment votre famille s'est-elle liée à la France  ?

Salomé Zourabichvili : Quand les armées russes ont occupé la Géorgie en 1921, le gouvernement et les élites politiques associées à la lutte pour l'indépendance – dont faisaient partie mes parents – sont forcées de quitter le pays. 2 000 personnes quittent la Géorgie sur un bateau français et se réfugient d'abord en Turquie avec l'idée que cette occupation russe serait de courte durée. Elle ne le fut pas. En 1922, la Turquie reconnaît la nouvelle Russie et demande aux réfugiés géorgiens de quitter le territoire turc. C'est là que la France est devenue un nouvel eldorado.

En 1924, lors de sa visite diplomatique, le président du Conseil Édouard Herriot reconnaît la nouvelle Russie sauf dans les territoires où son autorité n'était pas installée, parmi lesquels la Géorgie où s'organisaient des insurrections à répétition. Il n'a donc pas pu visiter la Géorgie et c'est cette position qui permit le maintien de l'ambassade géorgienne en France qui venait de s'ouvrir. Une situation qui a pu perdurer jusqu'en 1935 et le traité franco-soviétique d'assistance mutuelle. Pendant toute cette période, l'émigration géorgienne avait, en quelque sorte, pignon sur rue avec une ambassade d'où elle pouvait continuer un combat politique pour son indépendance. La France a toujours été pour la Géorgie le lieu d'accueil de la Géorgie libre même si une partie des émigrés filèrent aussi vers les États-Unis. C'est là qu'a été ouverte la première Église géorgienne à l'étranger.

Mais tous ne peuvent pas se rendre en France...

Beaucoup de familles des émigrés politiques ont subi des persécutions du système soviétique et ont été déportées. Le simple fait d'avoir un proche vivant en France était déjà une preuve de culpabilité. Certains membres de ma famille ont changé de nom. L'unique frère de ma grand-mère a été fusillé. Il faut savoir qu'à cette époque, les élites en Géorgie ont été décimées. Et petit à petit, certains acteurs de la première indépendance de 1918 ont été oubliés de l'imaginaire collectif. Quand je suis venue en Géorgie la première fois, en 1986, il n'y avait que quelques personnes qui savaient – de nouveaux activistes de l'indépendance – qui était la famille Zourabichvili.

J'ai été élue parce que je suis européenne

Quelle est votre ambition à la présidence de la Géorgie  ?

C'est un pays qui s'est transformé et qui continue de se transformer. Au lendemain de la chute du Mur, il était sans perspective et son président (Edouard Chevardnadze, NDLR) était vieillissant et n'avait plus de vision pour la Géorgie. Ensuite, le gouvernement Saakhachvili, dont j'ai fait partie, a mis le pied à l'étrier avec de nombreuses réformes qui ont changé le pays. Nous avions la détermination de collaborer de plus en plus avec l'Otan et l'Union européenne. Cela n'a d'ailleurs jamais cessé d'être l'un des objectifs des dirigeants et de la population géorgienne...

C'est le vôtre  ?

Il n'y a pas d'autre alternative. D'ici six ans, je veux réussir l'intégration véritable. Je veux que la Géorgie intègre l'Union européenne et l'Otan. Mais ce n'est pas un choix qui appartient à la Géorgie. C'est à nous de montrer notre détermination infaillible pour cette intégration en créant les conditions nécessaires. L'Europe viendra à la Géorgie, j'en suis convaincue. C'est le sens de mon élection. J'ai été élue parce que je suis européenne. Tout le monde savait mon passé et mon ambition pour l'UE.

Qu'est-ce que l'Europe peut vous apporter  ?

Nous sommes européens. C'est le sentiment profond de la population. Les fondements de l'identité géorgienne sont les mêmes que les fondements de bien des pays européens. Il y a un grand sentiment de proximité qui est même naturel. Par ailleurs, il n'y a pas d'autres perspectives pour la Géorgie, placée où elle est et entourée par ces grands pays. C'est une perspective de développement propre et de sécurité. Aucun de nos voisins n'offre ce genre d'alternatives. On les a tous connus dans l'histoire géorgienne et on sait donc ce que ces empires ont pu offrir à la Géorgie. D'ailleurs, les rois géorgiens ont longtemps cherché des appuis en Europe. L'Europe, c'est la voie que doit emprunter la Géorgie désormais.

En quoi est-ce une perspective d'évolution pour la Géorgie  ?

Si l'on se sent très européen, c'est en termes culturels. La société n'a pas fait complètement sa mue depuis la fin de l'ère soviétique. Il faut comprendre que le pays a été sous le joug d'un système totalitaire et soviétique pendant 80 ans. Cela marque beaucoup les mentalités et les comportements en politique et chez les citoyens. Cela se ressent encore aujourd'hui : c'est le manque d'initiative, le refus des responsabilités, le confort d'être noyés dans la masse, etc. Ici, on s'occupe de son appartement et on laisse à l'autre – c'est-à-dire à l'État – le soin des parties communes de l'immeuble. Il y a longtemps eu une réticence à payer les impôts et un sentiment d'éloignement et de déclassement quand on ne vivait pas à Tbilissi. La Géorgie doit plus avoir confiance en elle. Notre histoire le démontre : nous avons toujours été le pays le plus indépendant intellectuellement de la région.

Qu'est-ce que la Géorgie peut apporter à l'Europe  ?

Son grand esprit de tolérance. Nous restons un microcosme dans ce domaine. C'est une tradition que nous devons préserver. Nous sommes d'ailleurs en train d'introduire au patrimoine immatériel de l'Unesco la notion de tolérance fondée en partie sur 26 siècles de cohabitation entre les Géorgiens et les Géorgiens juifs sans aucun conflit. En Israël, on nous dit que nous sommes les seuls à ne pas avoir à dire pardon pour les crimes de 39-45. Juifs, Kurdes, Arméniens, chiites, sunnites... Il y a un très long passé de coexistence pacifique en Géorgie. Et l'étranger a toujours été très bien accueilli ici. C'est aussi pour cela que nous résistons à cette vague populiste.

Mais elle traverse l'Europe, cette vague de populisme. Au point de la mettre en danger. Vous inquiète-t-elle  ?

Je crois qu'elle inquiète le monde entier. C'est un renfermement de l'Europe. Ici, nous avons une immigration qui n'existait pas avant, avec des Syriens, des Pakistanais, des Indiens, etc. Nous ne sommes qu'un petit pays alors les réactions d'autodéfense peuvent arriver bien plus vite. Il y en a eu sur le sujet des terres vendues aux étrangers. Je crois qu'il faut une réglementation parce que la population géorgienne est dans un niveau de vie qui est bas. Les étrangers mieux lotis ne peuvent donc pas acquérir à de très bas prix ces terres. Ce serait injuste. Et en même temps, nous devons maintenir le niveau d'investissements et voulons attirer les investisseurs étrangers sérieux. Il s'agit d'avoir une politique bien pensée pour empêcher de se développer le populisme.

Populisme, Brexit... L'Europe est en crise. Une nouvelle intégration ne serait-elle pas malvenue  ?

L'Europe est en crise, c'est vrai, mais je suis une optimiste et une observatrice. On en reparlera dans quelques années, mais je n'oublie pas toutes ces fois où l'on disait que jamais tel pays n'intégrerait l'UE. Et quelques années plus tard, on fête son entrée au sein de la communauté. Toute la construction européenne s'est faite avec des crises. Il n'y a jamais eu d'avancée européenne qui n'est pas le résultat d'une grande crise. Le Brexit peut donc être un nouveau départ. Je vois que cette période est une opportunité pour repenser l'UE, sur de nouvelles bases et avec de nouvelles idées. C'est donc l'occasion pour la Géorgie de trouver sa place peut-être plus vite, peut-être différemment dans l'ensemble européen. Si du Brexit naissent des formats ad hoc d'intégrations ou de relations, alors pourquoi pas nous  ? Il n'y a pas de raisons pour qu'un pays comme le nôtre – qui est un enthousiaste européen – soit plus maltraité qu'un pays qui a dit non. Nous pouvons être présents sur les sujets de sécurité. Nous le sommes déjà en Centrafrique et au Mali. Nous participons aux efforts européens sur les théâtres extérieurs.

La Française que vous êtes porte-t-elle un regard sur la crise des Gilets jaunes  ?

C'est un phénomène nouveau que personne n'a su anticiper. C'est la traduction, aussi, de la redistribution des cartes dans le jeu politique en France. Une redistribution qui a commencé avec l'élection d'Emmanuel Macron. Les partis politiques ne sont plus ce qu'ils étaient. Il y a une vraie défiance contre les forces politiques en France. C'est vrai aussi en Géorgie, où l'on a décidé d'introduire un régime parlementaire avec, en même temps, un président élu au suffrage universel direct. Or, un régime parlementaire sans partis politiques très établis, c'est difficilement imaginable. Surtout quand les citoyens ne croient plus en eux...

Propos recueillis par Olivier Pérou, envoyé spécial à Tbilissi
Publié le  | Le Point.fr

Vous avez été élue présidente de la Géorgie en novembre 2018 avec près de 60 % des suffrages. Quels défis comptez-vous relever d’ici à la fin de votre mandat ?

Salomé Zourabichvili.- Tout d’abord, celui de faire entrer la Géorgie dans l’Europe autant que possible. L’Union européenne est un objectif absolu.

http://madame.lefigaro.fr/societe/salome-zourabichvili-ce-sont-les-femmes-qui-ont-pris-en-main-la-georgie-300819-166616?

Salomé Zourabichvili : "Les Géorgiens ne veulent pas devenir Européens, ils le sont déjà"
https://fr.euronews.com/2019/08/28/salome-zourabichvili-les-georgiens-ne-veulent-pas-devenir-europeens-ils-ne-sont-deja