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Svetlana Alexievitch

Svetlana Alexievitch, prix Nobel de littérature et figure de la contestation en Belarus


Symbole de la pression qui s'accroît sur le mouvement de contestation en Biélorussie, la lauréate du prix Nobel de littérature, Svetlana Alexievitch, a été convoquée mercredi 26 août par les enquêteurs, car membre du « Conseil de coordination » formé par l'opposition pour organiser la transition du pouvoir. Le message du clan d'Alexandre Loukachenko est clair : personne ne sera épargné, y compris la plus célèbre des Biélorusse

Maintenant, le régime va être obligé de m’écouter. » C'est ce qu’avait dit en Suède la romancière Svetlana Alexievitch lors de la remise de son Nobel de littérature en 2015. Cinq ans plus tard, elle accuse le pouvoir biélorusse d'avoir amorcé « une guerre contre son peuple ». C’était quelques jours avant de rejoindre le Comité de coordination de l'opposition.

Entre documentaire et littérature

Celle qui est devenue la quatorzième femme, en plus d'un siècle, à recevoir le prix Nobel de littérature, est une ancienne journaliste. Son œuvre est souvent perçue comme étant à la frontière entre le documentaire et la littérature. Ses livres, Svetlana Alexievitch les écrit pendant plusieurs années, à partir de témoignages. Le tout premier, La guerre n'a pas un visage de femme, est basé sur des entretiens avec des centaines de femmes plongées dans la Seconde guerre mondiale. Il lui a valu d’être accusée de « briser l'image héroïque de la femme soviétique », même si Mikhaeil Gorbatchev l'a défendue.

Le livre n'est édité qu'en 1985 et la rend immédiatement célèbre en Union soviétique et à l'étranger. Svetlana Alexievitch s'intéresse aussi à la guerre menée en Afghanistan. Son ouvrage le plus remarqué, La supplication, est le fruit de 10 ans de travail sur la catastrophe de Tchernobyl et ses conséquences. Un livre interdit en Biélorussie, où le sujet est tabou.

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en 2015

 

Archifavorite chez les parieurs, le prix Nobel de littérature 2015 a été attribué ce jeudi 8 octobre à la Biélorusse Svetlana Alexievitch. Après l’énorme surprise de l’année dernière avec le Français Patrick Modiano, l’Académie suédoise a couronné cette fois-ci une écrivaine prolifique et une journaliste combattante qui écrit aussi bien sur la catastrophe nucléaire de Tchernobyl que sur les traces cachées des guerres. Une dissidente restée inébranlable à côté des victimes et qui relie dans ses écrits la petite avec la grande histoire.

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« C'est énorme de recevoir ce prix » a été la première réaction de la lauréate. Quant au jury, il a salué une « œuvre polyphonique, mémorial de la souffrance et du courage à notre époque ».

A 67 ans, la Bielorusse Svetlana devient ainsi la 14e femme et la première femme de langue russe à remporter le prestigieux prix littéraire. Dissidente, elle a écrit sans faire des concessions au pouvoir sur l’histoire de l’Armée rouge, Tchernobyl, la chute du communisme, les dégâts provoqués par l’empire soviétique chez les gens. En 2013, lors de la publication de son livre, La Fin de l’homme rouge ou le temps du désenchantement, elle avait expliqué à RFI : « Je suis protégée par le fait que je sois connue. Malgré tout, j’écris ces livres. Que ça plaise au pouvoir ou non. »

Les visages de la guerre

Pour La Supplication – Tchernobyl, chronique du monde après l’apocalypse, publié en 1997, elle avait emporté le Prix de la paix Erich-Maria-Remarque. Dans beaucoup d’autres écrits, elle manifeste sa volonté de soutenir les victimes dans leur travail de deuil et dans leur recherche de la vérité. La Guerre n’a pas un visage de femme, publié en 1985, fait écho aux expériences vécues par des femmes soldats de l’Armée rouge pendant la Seconde Guerre mondiale. Il est suivi en 1990 de Cercueils de zinc qui fait le sinistre bilan des soldats envoyés à la guerre en Afghanistan. Avec Derniers témoins, elle revient en 2005 sur l’histoire de la Seconde Guerre mondiale pour sauver les témoignages des enfants d’alors de la disparition.

Née le 31 mai 1948 à Stanislas, dans l’ouest de l’Ukraine, au sein d’une famille d’instituteurs de campagne, elle choisit de devenir journaliste. Après des études à l’Université de Minsk, elle est engagée à la rubrique courrier de Selskaïa Gazeta, le journal des kolkhoziens soviétiques. C’est à ce moment qu’elle commence à s’intéresser au sort souvent tragique des femmes et publie La Guerre n’a pas un visage de femme. Ce premier roman est à contrecourant de la propagande soviétique sur le rôle héroïque des femmes dans la guerre. Entamé dans les années 1970, le livre n'est publié qu’en 1985 rendant célèbre son auteure en URSS et à l’étranger.

« Sculpter l’image d’une époque »

Son style fusionne les meilleurs côtés de ses deux activités en tant que journaliste et romancière : être à la fois proche de la réalité et des gens et pénétrer avec la force de l’imaginaire et l’âme des mots les endroits interdits et occultés. Elaborés minutieusement à travers de centaines d'interviews pendant une très longue période, ses écrits dérangent au plus haut point les autorités et sont jusqu’à aujourd’hui introuvables dans les librairies en Biélorussie, gouvernée par un des derniers régimes autoritaires d'Europe. Dans un entretien qui vient d’être publié lors de la sortie en France de trois de ses œuvres majeures dans la collection thesaurus chez Actes Sud, Svetlana Alexievitch définit sa façon de travailler ainsi : « Je ne cherche pas à produire un document, mais à sculpter l’image d’une époque. »
 

Après l’annonce du prix Nobel de littérature, lors d’une conférence de presse improvisée dans la capitale biélorusse, elle a souligné que ce prix était une récompense non seulement pour elle, mais aussi pour ce « petit pays qui a toujours vécu comme entre des pressoirs » avant d’affirmer d’aimer « le monde russe, mais pas celui de Staline et de Poutine ». Pour Svetlana Alexievitch, une chose est claire : « Il ne faut pas faire de concession devant un pouvoir totalitaire. »

« On a vu à quelle vitesse la culture s’envole et la bête surgit de l’homme »

Après avoir reçu le Prix de la paix des libraires allemands et le prix Médicis essai en 2013 pour son livre La Fin de l’homme rouge (« C’est probablement la seule chose que le pouvoir soviétique a réussie : de créer un nouveau type d’homme. C’est une tentative d’une civilisation alternative qui a fini par un bain de sang…C’est donc un homme très compliqué. Un mélange d’un homme idéaliste et d’un homme déformé par le système totalitaire»), le prix Nobel de littérature lui donnera certainement la force nécessaire de continuer son chemin souvent très difficile envers la vérité.

"Les événements dans le Donbass et à Odessa m’ont personnellement fait peur. On a vu à quelle vitesse la culture s’envole et la bête surgit de l’homme."

RFI - Siegfried Forster